Le désespoir d'André Comte-Sponville

Art et philosophie

Le désespoir d’André Comte-Sponville est  la caractéristique de la musique pas seulement de Supertramp mais de celle de tous les artistes qui m’attirent. Et ça n’a rien à voir avec le malheur ou le bonheur. 

Être désespéré, dans le sens que donne André Comte-Sponville à ce mot, c’est être sans attente de résultat. Et c’est à priori une absurdité : comment peut-on chanter sans espérer bien chanter, faire un album sans espérer que cela va marcher ? 

Je pense que Supertramp, lorsqu’ils étaient malheureux, ont été tellement malheureux que leur seul et unique salut, c’était la musique. C’était leur drogue, leur vin, mais en guise d’alcool, ils voulaient du top, du super sans plomb, ils voulaient de la class et de la noblesse.Lorsqu’ils ont fait Crisis What Crisis, ils ont placé leur objectif plus haut que le niveau individuel : ils ont mis leurs intérêts personnels temporairement en veilleuse pour donner la priorité à la qualité de l’album. Ils se sont mis au service de l’album et c’est ce qui leur a permis de ne plus attendre que l’album serve leur désir bien compréhensible de succès.Et ça change tout au niveau du résultat artistique.                   

Sur son DVD, Roger Hodgson dit qu’il ne pouvait pas chanter les chansons de Rick Davies. Ce n’est pas exact : s’il n’a effectivement jamais chanté les chansons de Rick Davies en voix principale, ils ont tous les deux collaboré vocalement, et ce n’était pas rare que Roger Hodgson fasse le choriste pour Rick. Ils ont tous les deux, collaboré dans un esprit de service mutuel, et c’est ça qui m’a attirée dans leurs albums. Pour chanter Supertramp sans massacrer Supertramp, il faut avoir l’âme d’un ou d’une super tramp c’est-à-dire, une personne « désespérée » qui donne le meilleur d’elle-même pour servir un objectif supérieur à son égo.

L’existence de ces artistes donne raison à André Comte-Sponville sur l’existence et la beauté de ce désespoir et relativise la contradiction performative de Luc Ferry. C’est une contradiction performative parce que ce n’est pas quelque chose qui se fait (ils ne l’ont pas fait exprès, sont manifestement incapables de le refaire et on ne peut pas ne pas espérer), mais c’est quelque chose qui existe. 

LE MOT ET L’IDEE 

André Comte-Sponville n’invente pas de nouvelles significations, il ne refait pas le  français. Mais ce qu’il décrit est plus subtil que ce que la langue à son niveau actuel de précision peut décrire. C’est de la recherche de très haut niveau. Et ce n’est pas parce que la philosophie n’appartient pas à la science qu’ils ne travaillent pas avec des méthodes scientifiques. Un vrai esprit littéraire est un esprit scientifique.J’utilise le mot strange dans une phrase en français pour désigner une bizarrerie étrange, le synonyme en verlan serait zarbi. A ce point là, ce n’est plus bizarre, c’est zarbi.Ceux qui se posent des questions philosophiques n’utilisent pas les mêmes mots parce qu’ils n’ont pas tous la même culture, le même vécu avec les mots et ce qu’ils décrivent viennent d’un ressenti très précis. 

A propos d'Arnaud Desjardins

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