Fool's Overture

En philosophie, quand on parle d'art, on distingue l'humain du divin pour parler de la source de créativité.

Pour moi, le divin dans l'art est cette source d'inspiration inexplicable qui fait dire à certains artistes que leurs productions ne leur appartiennent pas. Laurent Voulzy a dit une fois qu'il n'avait pas l'impression que les tubes qu'il a écrits viennent de lui. Et Roger Hodgson a dit qu'il a deux manières de composer : parfois, il commence par pianoter sur son clavier et il tombe sur une mélodie sympa, d'autres fois, il entend tout le morceau dans sa tête, comme un cadeau du ciel, un don de Dieu. Par le mot Dieu, je ne désigne donc pas le créateur des croyants mais la source de créativité qui ne passe pas par l'intellect.  

Je n'ai jamais rencontré Roger Hodgson et à ma connaissance, il n'a jamais parlé des circonstances de l'écriture de Fools' Overture. Mon analyse n'a donc pas de valeur historique, c'est juste une hypothèse qui vient de mon imagination et mon ressenti quand j'écoute le morceau. Ma traduction est également très subjective. Mais ce n'est peut-être pas si fantasque si on tient compte du fait que Roger Hodgson a une relation particulière avec ce qu'il appelle Dieu et qui peut ne pas être très différent de ma notion du divin.  

Donc, après avoir écrit Even In The Quietest Moments, un authentique chef d'oeuvre, Roger Hodgson ambitionne de participer au don de Dieu et tout exploser. Son ambition est absolument dé-me-su-rée, irraisonnable même. Il veut tout, rien de moins que tout. 

Mais il doute. 
Son talent lui a permis d'écrire des morceaux magnifiques et il a beaucoup reçu de Dieu aussi mais cette fois, ses ambitions sont de mélanger les deux et il ne se voit pas du tout y arriver parce qu'il n'est jamais certain que Dieu va l'aider quand il est dans l'ambition. Il ne maîtrise pas Dieu, il n'a aucun pouvoir. 

Il pianote tristement sur son clavier et il est presque surpris que les premières notes lui plaisent. C'est triste et mélancolique et en même temps, il y a une pointe d'orgueil et le tout reflète bien son état d'âme du moment. Ca lui donne de l'espoir. 

Mais ce n'est pas l'espoir dont parle André Comte-Sponville quand il dit qu'espérer, "c'est désirer sans pouvoir, sans savoir et sans jouir". André Comte-Sponville a raison de faire cette analyse mais ce n'est pas la seule signification possible du mot Espoir. Ici, le mot Espoir désigne un état qui vient d'un pouvoir certain d'exaucer son désir, une quasi-certitude et une vraie possibilité d'avoir même si ce n'est pas encore là : avec cette mélodie, Roger Hodgson tient effectivement le début du chef d'oeuvre dont il rêve même si la satisfaction du désir se passe dans le futur, c'est un futur certain dans la limite bien sûr de ce qui dépend de lui et c'est le seul bémol de sa certitude.

La première partie est sublime mais ça ne suffit pas pour éteindre le feu de son ambition artistique. 

Et l'inspiration tombe.

Le temps passe et il n'avance pas. Il désespère.

Mais ce n'est encore pas le désespoir dans le sens d'André Comte-Sponville parce que Roger Hodgson n'est pas sans attente. Il désespère dans le sens commun du terme : il est malheureux parce que son projet n'avance pas. Ce qu'il a composé est suffisant pour être en haut des charts mais il ne vise pas le Top 50 avec ce morceau qu'il veut ab-so-lu-ment hors normes. 

Mais il ne baisse pas les bras. Il a une formidable volonté d'aller de l'avant et de construire son chef d'oeuvre. Et petit à petit son désespoir glisse du sens commun vers un état plus profond et plus heureux au fur et à mesure qu'il voit (donc au fur et à mesure qu'il sait) qu'il a le pouvoir de réaliser son désir de composer un morceau hors normes, une suite logique à, et à la hauteur d'Even In The Quietest Moments. Cet espoir n'a rien de critiquable et c'est là que je suis en désaccord avec André Comte-Sponville qui, il me semble, met tous ses espoirs dans le même panier. :-) :-) :-)

Un jour, il tombe sur des documents d'archives : des bruits des manifestants en colère et la voix de Churchill exhortant le peuple anglais à tenir bon et à se relever des ruines de Londres bombardée par l'Allemagne.
Roger Hodgson décide d'ajouter ces sons à son morceau parce qu'ils expriment à la fois l'état de délabrement intérieur dans lequel il se trouve et sa volonté et ses vraies possibilités de s'en sortir. Il ne sait pas encore comment il va pouvoir rebondir pour donner une suite à son oeuvre mais il y va. 

Big Ben : Ding Dong Ding Dong
Winston Churchill : We will never surrender !
On se lève ! Voici le chemin de la reconstruction !

L'artiste avance vers l'avenir.
Et l'espoir revient. Et ce n'est toujours pas l'espoir que critique André Comte-Sponville parce que même s'il n'en a pas encore la certitude, il sait quelque part qu'il peut atteindre son but.

Roger Hodgson est content de ce qu'il a accompli. Et il continue la chanson en chantant Dieu.

Le morceau est absolument magnifique. Et Roger Hodgson croit que c'est fini. Il pense que son oeuvre est complète. Il entend même déjà les anges chanter sa victoire et l'avènement de la nouvelle ère artistique pour lui. 

Mais Dieu veut beaucoup plus encore, infiniment plus. Et Roger Hodgson mesure la vraie grandeur des ambitions que Dieu nourrit pour lui et il se demande comment il peut faire mieux et maintenant qu'il est au courant de ce que Dieu veut pour lui, il veut assurément mieux. 

Dreamer ! Dieu lui balance du ciel pour le narguer et le stimuler.

La corde de l'amour propre vibre. 

Et Roger Hodgson prend brusquement confiance. Il n'y a plus aucune place dans son esprit pour le doute. Il n'a plus aucune attente. Il va tout donner même s'il devait en mourir et il réussira parce qu'il a cessé de croire en la réussite maintenant qu'il sait qu'il va réussir.

Il prend son élan, se met au galot, saute et vole au dessus du vide vers le grand inconnu et atterrit de l'autre côté de la rive, surpris d'être encore vivant et éperdu de reconnaissance, il se jette aux pieds de l'Artiste créateur.

Dieu :
Can you hear what I'm saying ? Entends-tu ce que je dis ?
Can you see the part that I'm playing ? Vois-tu le rôle que je joue ?

Roger Hodgson :
Holly man, rocker man, come on Queenie ! Homme saint, rocker, viens ma reine !
Joker man, spider man, blue-eyed meanie ! Chef d'orchestre, archer à plusieurs cordes, avare aux yeux bleus !

Dieu :

So you've found your solution ? Alors, tu as trouvé ta solution ?
What will be your last contribution ? Quelle sera ta contribution ?

Roger Hodgson et les anges :
Leave it up, rip it up, why so lazy ? Monter tout en haut, déchirer tout, pourquoi tant de paresse ?
Give it out, dish it out, let's go cray, yeah ! Donner tout ce que j'ai dans le ventre, montrer le meilleur de moi-même, soyons fous !

Le morceau final, est pour mes oreilles, un chef d'oeuvre, même si je ne le classe pas comme Even dans ma catégorie d'art sacré mais un art semi-sacré (sans hiérarchisation de valeurs) parce que c'est une parfaite collaboration entre l'humain et le divin, c'est-à-dire une collaboration équilibrée où chacun est à sa juste place.

décembre 2008

Commentaires

  • Xavier
    • 1. Xavier Le 30/01/2021
    Bonsoir,
    Je suis entièrement d accord avec vous. Ce morceau est un pur chef d œuvre . Pour votre analyse.

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