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Développer son talent

PREAMBULE 

Il ne s'agit pas ici de donner des exercices à pratiquer pour développer ses talents. Il existe des sites très bien pour ça. Si je parle quand même d'une "méthode" sur ce site, ce sera uniquement pour montrer les mécanimes psychiques qui participent à l'atténuation des obstacles à la création artistique.

Ces obstacles sont les mêmes pour toutes les disciplines artistiques mais comme ils sont beaucoup plus subtils dans les disciplines qui ne nécessitent pas de performance directe devant un public (sculpture, peinture...etc) et que pour faciliter la compréhension de mon propos, j'ai choisi de parler de ce que n'importe qui, artiste et simple spectateur, peut voir et vérifier, on va ne parler ici que des arts scéniques comme le chant et la comédie. 

Mais comme je me classe parmi les interprètes non musiciens, je ne vais donc pas parler de musique mais d'interprétation. Et ce sera déjà un sujet assez vaste.

LA PRESENCE ARTISTIQUE 

Qu'est-ce que la présence ?

Physiquement, je suis présente où à l'endroit où se trouve mon corps. Mais mentalement, je peux être complètement ailleurs dans l'espace et dans le temps.

La première étape est bien sûr la concentration. Si je pense à ce que je vais faire le week-end prochain, je ne suis plus à ce que je fais, c'est évident. Mais ce n'est pas ce qu'il y a de plus difficile à faire. Ou en tous cas, à priori et sauf exception exceptionnelle, si on n'est pas très préoccupé par un problème grave par exemple, on est tous capables de se concentrer pendant une heure ou deux sur ce qu'on est en train de faire. Donc, la concentration ne représente pas de difficulté majeure.

LA difficulté concerne le conditionnement social. Supposons un homme ou une femme ayant mal vécu personnellement des déceptions amoureuses ou pour d'autres raisons ont du mal à montrer leur amour, auront naturellement du mal à chanter des chansons d'amour surtout quand elles sont très explicites comme Pour que tu m'aimes encore, Je t'aime ou Ne me quittes pas. Ces interprètes rencontrent beaucoup de difficultés parce qu'interpréter ces paroles revient à montrer ce que leur inconscient ne veut pas montrer en allant à l'encontre d'une idée, une opinion ou un préjugé.

L'interprète peut vouloir de toutes ses forces, son inconscient fera tout pour ne pas incarner la chanson parce qu'il ne veut pas montrer ce qu'il veut cacher ou nier. Que va t'on penser de moi ? Pour qui je vais passer ? C'est inconscient mais ça produit une gêne et dans tous les cas, sans un travail sur soi pour mettre en lumière ces mécanismes inconscients, l'interprète ne pourra jamais incarner pleinement la chanson. Son esprit sera occupé à cacher ce qu'il faudrait montrer et ne sera pas présent à l'instant et à la chanson. On dit alors et à juste titre que l'artiste se cache, qu'il manque de sincérité. Lorsque la présence est là, on parle de sincérité artistique. L'interprète ne joue pas le ressenti, il le vit et le jeu est authentique. 

C'est parce que c'est difficile que très peu d'acteurs peuvent jouer des rôles variés et très loin de ce qu'ils sont dans la vie. Beaucoup d'artistes ne peuvent jouer que les mêmes types de personnages.

Quand, pour compenser le manque d'authenticité, l'interprète simule un ressenti qu'il ne ressent pas, on parle de sur jeu.

Mais la présence ne dépend pas que de ce mécanisme psychologique de défense. L'esprit peut aussi être préoccupé par l'attente, l'espoir et la crainte et partir ailleurs.

On peut tout à fait chanter sans la présence mais je parle ici de l'idéal beauté, l'objectif de tout artiste. C'est très difficilement atteignable. Même les plus grands ne sont pas tout le temps présents à chaque chanson et chaque concert.

Un artiste qui a de la présence peut interpréter la même chanson de différentes manières (son ressenti n'est pas le même à chaque interprétation), il surfe sur la vague du présent en vivant pleinement d'instant en instant sans aucun refus même s'il devait ressentir ce qu'il estime ne pas devoir ressentir ou ne pas ressentir ce qu'il estime devoir ressentir. Et c'est ce qu'il y a de plus difficile à faire parce que pour créer, il faut lâcher ce que l'on croit et ce que l'on veut pour aller vers l'inconnu.

Lors d'un concert d'Elvis, une de ses choristes avait fait je ne sais plus quoi qui ne devait pas être fait sur Are You Lonesome Tonight. Si Elvis s'était accroché à ce qui aurait du être fait selon lui, il en aurait pris ombrage et l'incident aurait fait tâche. Au lieu de ça, il a suivi le mouvement et l'incident a provoqué chez le chanteur et aussi chez le public un fou rire communicatif qui est resté dans les annales de l'histoire de la musique. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu'il faille faire n'importe quoi. C'est nécessaire de prévoir mais dans l'instant il faut lâcher prise. Cette notion de création dans l'inconnu est subtile et difficile à concevoir parce que ça touche à la métaphysique difficilement abordable sans préparation mais on peut aborder la métaphysique avec des exemples concrets et c'est ça qu'on va faire sur ce site pour comprendre tout ce qui touche de près ou de loin à la création artistique. 

Mais est-il humainement possible d'aller contre ces ménanismes psychologiques inconscients ? Et si oui, est-il souhaitable d'aller contre ce qui se présente à notre psyché comme une conviction ? Nos préjugés et nos opinions ont un très fort pouvoir d'influence sur nous. Aller contre cela ne revient-il pas à aller contre nous-mêmes ? Il ne s'agit pas de tuer notre conditionnement social, on ne peut pas vivre sans ce conditionnement qui fait partie de nous. Mais on peut sans l'éliminer, le dépasser et le maîtriser. C'est un très gros paradoxe que doit résoudre tout interprète et même tout artiste qui cherche à s'approcher de l'idéal beauté.

J'ai été élève au cours Simon pendant un moment et j'ai pu vérifier qu'il existe un moyen simple (mais pas du tout facile) de dépasser nos conditionnements sans les détruire. Ce travail d'acteur peut sembler un peu masochiste parce que c'est ingrat mais personnellement, je l'ai trouvé efficace à condition de se retrousser les manches et ne pas avoir peur de souffrir.

Les adeptes de la pensée positive crieront à l'hérésie à la lecture de la description de ce travail mais je crois pour l'avoir également pratiquée que la pensée positive, tout en ayant des effets positifs avant la prestation, sur scène, ne fait que nier un peu plus les émotions négatives non maîtrisées qui en sont les limites.

Si l'interprète (ou l'acteur), pendant qu'il chante ou joue, est souvent préoccupé par la réussite ou l'échec de sa performance, il peut se mettre dans un endroit calme et envisager mentalement un échec et essayer de maintenir son esprit présent au ressenti désagréable qu'il veut tant fuir. Ce n'est qu'un exercice, il n'y aucun échec réel, mais le fait de ressentir pleinement les émotions qui montent, diminue la peur et donne la maîtrise des émotions et diminuent leur pouvoir de faire partir l'esprit pendant le jeu. C'est un exercice très ingrat mais au bout d'un moment, on s'aperçoit que ce qu'on prenait pour une montagne n'est qu'une petite coline puis une petite bosse qui loin d'être l'ennemi qu'on croyait, devient un allié et l'émotion ressentie et pleinement acceptée fait grandir l'amour de soi et ce qui est transmis au public est heureux. L'artiste est entier, c'est-à-dire qu'il ne se cache plus. Il ne transmet plus le rejet de soi mais l'acceptation de l'humain tel qu'il est. C'est le bonheur artistique. Le public est heureux parce que l'artiste est le témoin subtil que l'amour existe. On peut aussi faire le même exercice avec les sentiments de réussite si c'est ce qui fait partir l'esprit de l'interprète bien sûr, il ne s'agit pas de masochisme. Mais en général, ce qui accompagne l'attente et l'espoir de réussite est paradoxalement la peur de l'échec. La méthode que je viens de décrire n'est pas facilement accessible et il existe des exercices préparatoires mais elle agit en profondeur et les résultats sont durables.

Travailler à améliorer sa production artistique consiste dans un premier temps à accepter vraiment (pas se résigner), accepter complètement qu'il n'y a rien que l'intellect puisse faire pour conquérir l'Inspiration qui ne se laisse pas commander (voir Qu'est-ce que le talent ?). Il n'y a aucun rapport de force mais pour laisser place à une source différente de l'intellect, il faut que la source intellectuelle s'efface. Et elle ne s'efface que quand elle est complètement, consciemment et inconsciemment convaincue que le mieux pour elle et pour la personnalité entière, est qu'elle s'efface.

Pour l'intellect naturellement orgueilleux, c'est d'abord un constat d'échec. C'est aussi douloureux que de se retrouver devant ce qu'on désire le plus et de voir en même temps que ce n'est pas à vous. Et que cela puisse ne pas être différent de vous n'est qu'une maigre consolation. 

Une très grande erreur malheureusement inévitable est de tenter d'obliger l'intellect à s'effacer devant une intelligence autre. Il n'est pas bon, c'est même dangereux de faire taire l'intelligence intellectuelle parce que l'intellect, comme l'orgueil, fait partie de l'esprit. Il ne faut surtout pas s'en couper. 

Mais ce n'est pas un constat d'échec parce qu'il y a des ressources cachées et ce qu'on voit comme un adversaire n'est pas un adversaire, la ressource cachée est une partie de moi, différente de la partie pensante mais elle n'est pas autre que moi. Un motard qui a fait le Paris-Dakar a dit que quand on se croit sur le point de mourir de fatigue et de nervosité, on se découvre une source d'énergie insoupçonnée et on peut faire des prodiges. Ces sources existent. On ne peut pas les prouver scientifiquement mais tout le monde sait que ça existe pour l'avoir déjà vécu au moins une fois dans un domaine ou dans un autre.

L'autre solution demande un travail de très longue haleine, c'est même un chemin sans fin parce qu'on apprend tout le temps, c'est tout le temps de l'inédit et du neuf. Et ça fait du bien. C'est comme ça que j'aime fonctionner donc on va faire comme ça et viser un résultat durable mais moyennant beaucoup d'efforts. Ca prend des années et des années, toute une vie même parce qu'il n'y a pas de bataille décisive. Et ce combat constant entre le masculin et le féminin n'est pas nuisible, il participe même à l'équilibre psychique de l'artiste.

Il y a des conditions métaphysiques qui ne se provoquent pas mais qui sont à dé-couvrir. Enlever les obstacles, comme dirait quelqu'un que j'aime bien.

Et on peut commencer à enlever les obstables en développant son ressenti en commençant par le plus perceptible : la respiration. Ce travail peut se faire tout le temps et n'importe tout puisqu'il s'agit de porter son attention sur sa respiration et accepter le ressenti de chaque instant. L'exercice peut se faire tout au long de la journée et c'est en cela que la méthode est redoutable, on peut s'exercer tout le temps. Au début, on ne ressent rien et on se lasse. Mais si on persévère, la capacité à ressentir se développe naturellement et en se permettant de ressentir ce qu'on ne ressentait pas avant, l'inconscient ou la part d'ombre se découvre, la personnalité n'est plus divisée en deux, elle est unifiée en paix avec elle-même. Cet exercice ne dispense pas l'acquisition des techniques mais ça permet d'enlever les blocages psychologiques.

Développer la capacité à ressentir donne des résultats surprenants qui, au prix d'un effort soutenu et constant, seront inmanquablement au rendez-vous. 

LE PARADOXE 

On peut balancer tout ce que je viens de dire sur la présence parce qu'on peut aussi être intensément présent tout en étant pas présent du tout. C'est LE gros paradoxe de la présence. Quand on est dans la lune, on peut chanter de la lune et être complètement présent parce que le présent inclut tout, absolument tout, y compris le passé, le futur et le conditionnel. C'est un koan, une énigme métaphysique à résoudre pour vraiment comprendre la difficulté du jeu d'acteur. 

juin 2006

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